Département d’État des États-Unis
Antony J. Blinken, secrétaire d’État
Le 5 octobre 2021
OCDE
Paris, France
LE SECRÉTAIRE D’ÉTAT ANTONY BLINKEN : Bon après-midi et grand merci à tous. Mathias, je dois commencer par dire que le fait d’être associé à George Marshall me remplit d’humilité, et me rappelle un peu ce qu’Allen & Rossi ont dû ressentir. Et pour ceux qui ne se souviennent pas d’Allen & Rossi, c’est justement ça l’idée. Les Américains ici présents savent peut-être que c’est le groupe qui a suivi les Beatles dans l’émission télévisée The Ed Sullivan Show, il y a de nombreuses années de cela. (Rires.) Mais je vous remercie quand même.
Et à vous, Monsieur le secrétaire général, à tous nos collègues et particulièrement à mes bons amis Monsieur le ministre Eui-Yong, Chung, et Monsieur le ministre Gramegna, merci pour le travail important qui nous amène ici aujourd’hui et à cette ministérielle.
Si je pouvais également commencer par une réflexion personnelle rapide. J’ai un attachement particulier à l’OCDE. Il y a de nombreuses années, lorsque je faisais des recherches pour ce qui allait devenir ma thèse, je suis venu ici à l’OCDE pour aller à la bibliothèque, pour parler à certains experts, et j’étais comme un enfant dans un magasin de bonbons, parce qu’il y avait tellement de choses ici qui ont guidé ce travail, qu’il s’agisse des études incroyables qui ont été effectuées ou des experts auxquels j’ai eu accès. Et quelques années plus tard, cette thèse est devenue un livre qui est encore disponible sur Amazon. (Rires.) Il est intitulé Ally Versus Ally: America, Europe, and the Siberian Pipeline Crisis. Que je vous prévienne, au cas où vous essayez de le trouver : un commentateur a dit que c’est le genre de livre qui est difficile à reprendre une fois qu’on l’a mis de côté. (Rires.) Mais cela dit, je remercie l’OCDE après toutes ces années de m’avoir fourni tant de matière à réflexion et apporté tant de perspectives.
Mais nous sommes ici en une journée et en une occasion mémorables, le soixantième anniversaire de l’OCDE. Ce qui nous donne une chance de nous pencher sur ce qui a changé depuis la conception de l’organisation, mais aussi ce qui n’a pas changé.
Il est évident certains des défis auxquels nous faisons face aujourd’hui dans le cyberespace, en matière de crise climatique, auraient été inconcevables pour les architectes de cette institution et de l’ordre de l’après-Seconde Guerre mondiale. Mais les valeurs communes au cœur de l’OCDE et les raisons pour lesquelles le monde a toujours besoin de cette organisation – en fait, je dirais même qu’il en a plus que jamais besoin – restent constantes.
Nous sommes convaincus que notre santé économique est ancrée dans la démocratie, la primauté du droit, les droits humains et l’engagement en faveur d’économies de marché ouvertes et transparentes.
L’influence de l’OCDE a toujours été basée sur sa capacité à appliquer ces principes communs aux défis les plus urgents du moment, et à rallier les autres à nos côtés. C’est toujours le cas aujourd’hui.
J’aimerais donc me concentrer sur quatre défis importants auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui, et sur la manière dont l’OCDE peut contribuer à les relever.
Le premier, rien de surprenant là, est la pandémie de COVID-19. Tous nos pays ont connu des pertes dévastatrices, à commencer par la mort de 4,8 millions d’enfants, de femmes et d’hommes – qui ont tous laissé derrière eux des êtres chers. Et nos populations ont subi le coup secondaire d’une crise économique.
L’OCDE nous a fourni des données essentielles à la prévision de l’impact économique de cette crise et à l’élaboration de stratégies fondées sur des données probantes afin que nous puissions reconstruire en mieux.
L’OCDE a été l’une des premières organisations à encourager vivement des groupes de pays à faire des achats anticipés de vaccins, ce qui a permis aux entreprises de doubler leur production. C’est cette approche que nous avons suivie pour fournir des vaccins sûrs et efficaces aux pays à revenu faible et intermédiaire par le biais du COVAX. Et cela nous aidera à respecter l’engagement que nous avons pris lors du récent sommet organisé par le président Biden dans le cadre de l’Assemblée générale des Nations unies, à savoir vacciner complètement au moins 70 % de la population en 2022 – dans chaque pays, dans chaque catégorie de revenus.
Le second défi est la crise climatique.
Chaque État membre est confronté à des phénomènes météorologiques extrêmes, qui ont des effets en cascade sur pratiquement tous les aspects de nos économies et de nos vies, de l’agriculture aux infrastructures en passant par la santé publique et la sécurité alimentaire.
Afin d’éviter des conséquences cataclysmiques, nous devons prendre des mesures immédiates et audacieuses pour renforcer la résilience et nous adapter aux impacts inévitables, tout en agissant de toute urgence pour parvenir à un monde à zéro émission nette. Telle est notre mission commune, et c’est ce sur quoi nous nous concentrons pour la COP26, qui se tiendra dans quelques semaines à peine.
Ensemble, les pays de l’OCDE produisent plus de 28 % des émissions mondiales de carbone. Nous représentons plus de 60 % du PIB mondial. Ce que nous faisons aura un impact énorme sur notre aptitude à atteindre notre objectif de limitation du réchauffement planétaire à moins de 1,5 degré Celsius.
Nos États membres doivent modeler leur comportement sur celui qu’ils attendent des autres. Ils doivent, pour cela, adopter des contributions ambitieuses, décidées au niveau national, visant à réduire les émissions et à investir dans l’adaptation au climat ; prendre rapidement des mesures pour arrêter les émissions constantes issues de la combustion de charbon ; mettre fin aux investissements dans le charbon, sur leur territoire et à l’étranger ; et supprimer progressivement les subventions aux combustibles fossiles.
Le système numérique de l’OCDE pour suivre l’action climatique nous aidera à respecter nos engagements en présentant ouvertement un suivi des progrès de nos pays vers les objectifs que nous nous sommes fixés.
Nous devons également adopter des normes élevées en matière d’investissements dans les infrastructures, qui augmentent la durabilité environnementale et sociale ainsi que la viabilité économique, la transparence et l’inclusion. À cet effet, nous devons concevoir et construire des ports, des aéroports, des routes, des réseaux électriques, des systèmes d’accès à Internet et d’autres infrastructures essentielles en utilisant des méthodes qui réduisent considérablement les émissions de carbone et garantissent une plus grande résilience face au changement climatique.
C’est l’idée qui sous-tend une chose dont nous avons parlé un peu plus tôt aujourd’hui, le réseau Blue Dot, une initiative des États-Unis, du Japon et de l’Australie qui vise à certifier les projets d’infrastructure fondés sur les normes existantes élaborées, notamment, par l’OCDE et les banques multilatérales de développement. L’équipe de l’OCDE sur la confiance dans les entreprises et l’Executive Consultation Group, composé de plus de 160 représentants du monde des affaires, de la société civile et du monde universitaire et réuni avec l’aide de l’OCDE, consolident déjà les méthodes qu’emploiera le réseau Blue Dot.
Sachant que, selon l’OCDE, il faudrait 6 900 milliards de dollars par an d’investissements dans les infrastructures pour atteindre un scénario de 2 degrés Celsius, un objectif qui, nous le savons maintenant, n’est pas suffisamment ambitieux, nous anticipons de vastes possibilités de collaboration accrue avec l’OCDE.
L’investissement dans les infrastructures est un exemple parmi d’autres qui montre à quel point les mesures rapides et audacieuses à prendre par nos nations pour éviter cette crise représentent une occasion unique de stimuler la croissance économique et de créer des emplois bien rémunérés.
Mais même si la transition vers une économie verte entraîne une hausse mondiale de l’emploi, ce qui, nous le pensons, sera le cas, ces postes ne seront pas tous occupés par des personnes qui ont perdu leur ancien travail. Nous avons l’obligation de faire participer tout le monde.
Ceci m’amène au troisième défi : l’inégalité. Les données sont on ne peut plus claires : la pandémie et la crise climatique frappent le plus durement les populations mal desservies de nos sociétés. Nous le constatons aux États-Unis, où les populations minoritaires ont été affligées, proportionnellement, par beaucoup plus de décès dus à la COVID-19 ainsi que par des dégâts plus importants liés aux effets du changement climatique qui s’accélèrent.
Nous en sommes tous en partie responsables. Pendant des décennies, nos pays membres ont mesuré la réussite économique principalement en fonction de la hausse du PIB et des marchés boursiers, laquelle ne reflète pas la réalité de millions de familles de travailleurs. Au contraire, notre croissance sans précédent s’est souvent accompagnée d’une hausse des inégalités. Les citoyens de nos pays et du monde entier veulent plus de croissance et plus d’égalité. L’OCDE peut contribuer à réaliser cela.
L’une des façons de le faire consiste à promouvoir les initiatives pour un taux d’imposition minimum des sociétés, comme Mathias l’a expliqué. Cela nous permettra d’éviter une course autodestructrice vers le bas, dans laquelle tous nos pays baissent leurs taux d’imposition sur les sociétés, pour ensuite voir les autres pays en faire autant. Cette course dure depuis des dizaines d’années, et aucun pays ne l’a remportée. Au contraire, la baisse des taux d’imposition n’a pas réussi à attirer de nouvelles entreprises, et elle a privé les travailleurs et les entreprises de conditions de concurrence équitables. De plus, cette approche a permis aux entreprises d’éviter de payer leur part. L’OCDE estime que l’évasion fiscale des entreprises coûte entre 100 et 240 milliards de dollars chaque année. Ce sont des ressources qui pourraient être réinvesties dans nos collectivités pour l’éducation, les soins de santé ou les infrastructures vertes.
Une approche commune en matière de fiscalité mettra fin à cette course ; elle égalisera les chances ; elle stabilisera le système fiscal international. Et elle fera progresser une plus grande équité entre les nations, en permettant aux pays en développement de collecter des recettes fiscales et de financer des priorités de développement plus facilement. Nous devons faire cela ; nous devons le faire ensemble.
L’OCDE peut également nous montrer comment la montée des inégalités nous nuit à tous. Les États-Unis investissent dans une série d’initiatives visant à accroître la capacité de l’organisation à collecter et analyser des données qui mesurent réellement le coût de la discrimination.
Par exemple, nous participons au financement des recherches de l’OCDE sur les avantages économiques et sociaux nets probables d’une meilleure intégration des personnes LGBTI dans nos pays. Et nous investissons dans le développement de la capacité de l’OCDE à collecter et à analyser des données ventilées par race et par sexe. Nous renforcerons ainsi les importantes recherches de l’OCDE qui démontrent les avantages économiques considérables de l’autonomisation économique des femmes. Au Danemark, en Islande, en Norvège et en Suède, par exemple, l’accroissement de la participation des femmes sur le marché du travail a représenté entre 10 et 20 % de la croissance annuelle moyenne du PIB par habitant au cours des 40 à 50 dernières années.
Au cœur de tous ces efforts se trouve la reconnaissance du fait que, plus que jamais, la véritable richesse de nos nations réside non seulement dans nos ressources naturelles, la force de nos armées, l’étendue de notre territoire, notre abondance de ressources naturelles, mais aussi dans nos populations et dans notre capacité à débrider pleinement leur potentiel.
Enfin, nous devons relever le défi de définir les règles applicables aux technologies nouvelles et émergentes. Nous devons veiller à ce que les progrès technologiques servent à améliorer la condition des gens et à promouvoir la liberté humaine, et non à supprimer la dissidence, à renforcer les inégalités ou à cibler les groupes minoritaires. Par exemple, nous avons vu comment les algorithmes prédictifs, du domaine du maintien de l’ordre à celui des peines de prison et de la libération conditionnelle, peuvent renforcer les préjugés contre les Noirs aux États-Unis.
Ensemble, nous pouvons faire en sorte que nos valeurs et nos intérêts contribuent à façonner les nouvelles règles numériques.
Prenons simplement le domaine de l’intelligence artificielle. Notre soutien conjoint aux Principes de l’OCDE sur l’IA en 2019 – le premier ensemble de principes intergouvernementaux sur le sujet – et le Partenariat mondial sur l’IA lancé en 2020, ont jeté les bases sur lesquelles le monde peut s’appuyer.
Pas plus tard que la semaine dernière, je me suis joint à la secrétaire générale de – excusez-moi, la secrétaire au Commerce des États-Unis Gina Raimundo, à notre représentante des États-Unis au commerce extérieur Katherine Tai, qui est également ici à Paris, et à des représentants de l’Union européenne à Pittsburgh pour la toute première réunion du Conseil du commerce et des technologies États-Unis-UE.
Nous avons adopté une déclaration commune sur les principes de l’IA qui est fermement ancrée dans la recommandation de l’OCDE de 2019 et qui souligne l’importance d’une IA digne de confiance, respectueuse des droits humains et des valeurs démocratiques. Quelques jours auparavant, les États-Unis, l’Australie, le Japon et l’Inde – autrement dit, le Quad – se sont engagés à intégrer les droits humains et les valeurs démocratiques dans la conception, le développement, la réglementation et l’utilisation des technologies.
Nos conversations en cours avec les membres ont mis en évidence d’autres questions technologiques cruciales que nous devons aborder de la même manière – notamment celles qui concernent la cybersécurité, les biens numériques et la sécurité de la chaîne d’approvisionnement. Nous attendons avec intérêt de consulter les autres démocraties pour savoir comment l’OCDE peut jouer un rôle de premier plan dans l’élaboration de ces domaines aussi.
Soixante ans après la création de l’OCDE, nous nous trouvons à un point d’inflexion.
Les principes au cœur de cette organisation et de nos démocraties sont remis en question par les gouvernements autoritaires qui affirment que leur modèle est plus à même de répondre aux besoins fondamentaux des populations. Certains de ces mêmes gouvernements cherchent activement à saper l’ordre fondé sur des règles qui est le fondement de la sécurité et de la prospérité de nos pays depuis des générations.
Les enjeux ne sauraient être plus élevés.
C’est pourquoi le travail de l’OCDE n’a jamais été aussi important. Nous devons prouver que notre approche peut améliorer la vie des gens – dans nos pays et dans tous les pays. Et ce, d’une manière plus équitable que par le passé.
N’oublions pas l’avantage fondamental de notre modèle démocratique : l’ouverture. Il nous permet, à nous et à nos citoyens, de voir où nous sommes performants et où nous sommes moins bons. D’apprendre les uns des autres. De nous responsabiliser. De faire mieux.
Et l’OCDE en particulier, par ses recherches rigoureuses et objectives, montre comment nous pouvons faire mieux, en définissant de meilleures politiques pour améliorer la vie des gens.
En 1947, lorsque le président Truman s’est présenté devant le Congrès pour plaider la cause du plan Marshall, il a pris l’exemple de la toute nouvelle OECE – l’ancêtre de l’OCDE – pour expliquer qu’il était dans l’intérêt des États-Unis de resserrer les liens avec les autres démocraties. Il a dit, et je cite :
« Lorsque les représentants de 16 États souverains – aux populations, au passé et aux institutions diverses – décident conjointement de resserrer les liens économiques entre eux et de rompre avec les actions autodestructrices d’un nationalisme borné, les obstacles sur la voie de la reprise semblent moins redoutables. »
Nous comptons désormais 38 États membres, ce qui signifie que notre capacité collective à surmonter ces obstacles est encore plus grande. Et les États-Unis sont déterminés à ce que l’organisation continue de se renforcer. Nous sommes prêts à travailler avec les autres membres pour parvenir à un consensus sur la voie à suivre, afin que les pays candidats qui partagent nos valeurs et répondent aux normes élevées de l’OCDE puissent s’engager sur la voie de l’adhésion.
Quelle que soit l’ampleur des défis auxquels nous sommes confrontés, ils sont moins redoutables lorsque nous les relevons ensemble. Et chacun de ces défis offre l’occasion de produire des résultats pour nos populations : de renforcer notre santé publique interconnectée, de préserver notre majestueuse planète tout en créant de nouveaux emplois bien rémunérés, de développer nos économies de manière à améliorer la condition de tous nos concitoyens, d’exploiter les nouvelles technologies de manière à promouvoir le progrès et les droits humains. Si nous continuons à travailler ensemble pour trouver les meilleures politiques, tout en restant ancrés dans les valeurs communes qui nous guident depuis 60 ans, il n’y a aucune limite à ce que nous pouvons accomplir.
Merci beaucoup. (Applaudissements.)
Voir le contenu d’origine : https://www.state.gov/secretary-antony-j-blinken-at-oecd-opening-and-keynote-address/
Nous vous proposons cette traduction à titre gracieux. Seul le texte original en anglais fait foi.